Le sans bord, nous l’attrapons par la brume, l’effacement, l’oubli. Ce qui était donné se dérobe. Ce que l’on croyait voir se dissipe. Autre chose apparaît, un autre rapport aux choses, une autre vérité : de l’oubli naît la mémoire, sans fin ; de la brume surgissent des formes qui n’existeraient pas en pleine lumière, dans des contours distincts. Des paroles dégèlent, nous reviennent par bouffées, puis disparaissent à nouveau ; confidences d’un oncle récemment disparu, enfants perdus dans la brume. Ne plus voir, ne plus savoir, ne plus comprendre, mais tout recevoir, comme si le vent nous portait au bout du bout, là où, au-delà de toute frontière, de toute limite, il n’y a plus qu’à se laisser faire, se laisser flotter entre l’enfance et la grande vieillesse, quelque part entre la vie et la mort. Nous avons collecté, au fil de nos échanges, une série de paroles sans bord, et peut-être aussi sans lieux : tout à la fois traces ou désir de créations, lambeaux de paroles critiques, amas confus où s’entremêlent, s’accumulent, s’effacent mutuellement textes, images, souvenirs, récits, essais, autant de signes épars écrits sur la brume, sans nécessaire souci de cohérence, mais en encourageant discrètement l’émergence d’une parole qui nous aurait échappé, qui apparaîtrait et disparaîtrait tout à la fois, comme une silhouette qui traverserait tout à coup notre regard, au moment même de s’effacer. Enregistrées, ces phrases sans bord se sont mêlées au vent, à la tempête au grondement sourd qui fraie dans une parole qui se cherche. White out, wipe out, blanc sur blanc, buée de buée, vanité de vanité.